La métropole oubliée, 2013-2014, page 7

Roland Vidal et Luc Vilan

 

 

La Norville : stabiliser la frange urbaine

 

Équipe de projet : Aïda Al Motamassik, Théo Khayat et Laure Roque

 

Localisation

 

 

Un village rattrapé par l'urbanisation


Tout comme Égly, La Norville était un petit village de moins de 500 habitants au XVIIIe siècle. Son château et son parc en relation avec les systèmes paysagers du même ordre à Guibeville, à Marolles-en-Hurepoix, au château d’Honville ou à Cheptainville, l’inscrivent dans le grand système des tracés royaux décrit par la carte des Chasses du Roi. La population du village augmente régulièrement après la Première Guerre Mondiale puis plus brusquement à partir des années 1980 dans la grande périurbanisation pavillonnaire qui le reliera à la banlieue d'Arpajon. La partie historique du village, dirigée vers la plaine agricole, conserve néanmoins une apparence proche de celle qu'elle avait cent ans plus tôt.

 

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Parmi les éléments remarquables du patrimoine architectural norvillois, on remarque encore aujourd'hui l'ancienne mairie (1), l'église Saint-Denis (2), dont une partie date du XIIIe siècle, le château (3), qui date du XVIIe siècle et héberge aujourd'hui un centre médical, et de nombreuses demeures anciennes (4) qui confèrent aux rues de l'ancien village un charme très apprécié des habitants.

 

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Le village qui profite largement des parcs anciens reste aréolaire dans sa mutation urbaine. Néanmoins, le centre villageois relativement bien préservé subit de tous côtés les pressions d’une agglomération en expansion aux limites du Grand-Paris. Du côté Nord, ce sont les zones pavillonnaires, plus ou moins denses (5), qui ne demandent qu'à s'étendre. Sur sa limite Est, la commune bute sur les zones d'activité de Saint-Germain-lès-Arpajon et de Brétigny-sur-Orge où les infrastructures logistiques (7) capables de recevoir simultanément une centaine de semi-remorques, sont à l'échelle de l'agglomération parisienne. Des côtés Ouest et Sud, La Norville finit son extension sur les champs. La limite Sud-Ouest, dans la continuité de la frange urbaine d'Arpajon —qui a progressé sur le plateau agricole— reçoit une grande partie des établissements scolaires (6) et sportifs de la Communauté de communes. Au Sud, la plaine agricole qui préserve encore le cadre rural du village est menacée par des infrastructures routières à l'échelle de la région tout entière.

 

Au cœur d'un nœud routier

 

Trois axes routiers majeurs encadrent l'agglomération d'Arpajon, en plus de la Nationale 20 qui la traverse (8) :

 

- L'autoroute A10, vers Bordeaux, du côté Ouest

- L'autoroute A6, vers Lyon, du côté Est

- La Nationale 104 (Francilienne), au Nord

 

La N20, quant à elle, dessert Orléans et se prolonge sous des dénominations différentes jusqu'à l'Espagne.

 

Cette situation d’échanges routiers fait supporter à l'Arpajonnais des flux de circulation relevant de l'échelle de l'Île-de-France. Les voies sont très sollicitées, les embouteillages y sont nombreux et engendrent une forte circulation sur le réseau des départementales empruntées comme itinéraires de délestage. Les contournements routiers abondent (Boissy-sous-Saint-Yon, Guibeville…). Les équipements scolaires et sportifs implantés dans la partie Ouest de La Norville contribuent à intensifier la circulation locale sur ce même réseau (9). Au final, en bordure de la frange Sud de la commune, la départementale 19, barreau stratégique de ces échanges, n’a plus le rôle ni le profil d’une départementale… C’est une voie de rocade de l’agglomération…

 

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De fait, elle enclave du côté Ouest une portion de territoire agricole d'une centaine d'hectares (10). À terme, elle pourrait être le lieu d’une expansion urbaine mal maîtrisée comme le laisse présager la facilité des lotissements pavillonnaires à s’installer dans les interstices laissés par les équipements de frange (11). Elle pourrait au contraire être l’espace d’une interface ville campagne organisée et structurante au profit de l’ensemble de l’agglomération de l’Arpajonnais comme le propose le projet développé ci-dessous.

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Stratégies de projets

 

La plaine agricole est en principe protégée puisqu'elle fait partie du "cœur agricole". Mais cette protection ne sera efficiente que  si la frange urbaine est stabilisée afin de garantir l’efficacité de l’exploitation agricole dans la durée. Or, aujourd’hui, la viabilité économique de cet espace est mise en péril par la montée en puissance des infrastructures routières qui l’enclavent progressivement et par les tentations de l’expansion urbaine.

 

Stabiliser la frange urbaine, cela signifie surtout éviter que la ville ne se termine dans l’accumulation désordonnée des ensembles pavillonnaires, des équipements, des zones commerciales ou industrielles et des infrastructures, tel que cela se dessine aujourd'hui. Cela interroge le sens de l’interface ville-campagne, son rôle dans les croissances urbaines actuelles et la manière dont elle peut bénéficier au renouvellement de la conception urbaine comme à l’évolution contemporaine de l’agriculture péri-urbaine. Le choix du projet, dans cette dernière perspective, est de transformer la frange urbaine actuelle, qui apparaît comme l’accumulation des « dos » des implantations urbaines en bord de ville.

 


Projet de bord de ville

 

Le projet pour La Norville est un projet de bord de ville comme on pourrait dire bord de mer ou plutôt, ici, bord de plaine. L’espace agricole n’est plus considéré comme la face arrière de la ville, un espace « vide » voué à une perpétuelle fuite en avant de l’urbanisation, mais comme un lieu de production qui a ses propres règles d’exploitation et, du point de vue urbain, comme un paysage. Un espace à contempler et un espace de pratiques urbaines spécifiques : promenades, jogging, jardinage, équitation, cyclotourisme etc. La campagne devient alors une composante du projet urbain contribuant à la qualité du cadre de vie. La ville, en s’appropriant ce territoire par le regard paysager et les pratiques, participe à la pérennisation de l’espace agricole. En lui donnant de la durée, elle permet le renouveau des modalités d’exploitation du territoire et d’échange avec la ville.

Le projet intervient à deux niveaux :

 

- Au niveau global de l’agglomération d’Arpajon, un tracé public matérialise la continuité du bord de plaine par une promenade piétons-vélos continue, de la zone commerciale du carrefour RN 20 – RD 19 à la petite zone d’activités au sud de La Norville sur la D449. Espace public lisible au niveau supérieur de la hiérarchie urbaine, il renforce la qualité de « ville verte » de l’agglomération en reliant par un parcours apaisé de déambulation, de pratiques de plein air et de découverte du paysage, les équipements scolaires et sportifs, les commerces de périphérie, grands parcs et espaces résidentiels de bordure.

 

- La bordure de ville, installée par ce tracé, valorise le foncier interstitiels qui peut recevoir des opérations d’habitats répondant aux demandes des documents d’urbanisme locaux mais surtout aux nécessités de la croissance du Grand-Paris. C’est le deuxième niveau, celui des opérations de construction [en rouge sur les documents 12, 13]. La position est attractive. Proximité des équipements scolaires, des commerces, grandes dessertes routières, qualités des espaces ouverts, valorisation des espaces publics, invitent à une densité d’habitat nettement supérieure à celle des lotissements pavillonnaires récents. C’est le lieu idéal de l’habitat individuel dense, du logement intermédiaire, voire plus.

 

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Les constructions sont orientées principalement au Sud/Sud-Est. Tournées vers la plaine agricole et le soleil, elles offrent des extérieurs privatifs, au sol ou en terrasse, à chacun des logements. Elles sont bordées par la promenade qui développe à leur rencontre différents jardins, publics ou collectifs, en continuité avec l'espace agricole de proximité (14, 15). Entre ville et agriculture, des espaces jardinés sont préservés (en vert sur l’image 13) et destinés à des jardins familiaux ou des jardins partagés, selon la demande sociale, tandis que des jardins scolaires sont associés aux établissements d'enseignement.

 

Les ensembles de logements testent des typologies résidentielles variées, maisons en rangées, maisons à patios, immeubles-plots, dans des dispositions attentives à l’étagement des situations entre le premier rang, face à la plaine, et le second rang nécessairement plus urbain. Là encore, la multiplicité des modèles littoraux gérant ces situations est source d’inspiration. En premier lieu l’orientation, fondatrice du modèle balnéaire, des fenêtres et balcons vers la mer est transposée ici dans la mise en scène du territoire agricole par la construction des vues depuis l’intérieur du logement, et par ses prolongements extérieurs.

 

Cette manière de regarder l'agriculture, au lieu de lui tourner le dos comme le font les implantations courantes du périurbain, pourrait préfigurer la construction de relations plus intimes entre citadins et agriculteurs. C'est en tout cas la (seule) manière par laquelle des architectes peuvent y contribuer. Si le lien s'établit, des relations à bénéfice réciproque pourraient voir le jour, avec des citadins qui s'intéresseraient davantage au monde agricole et des agriculteurs qui répondraient mieux aux attentes des citadins. Ces échanges pourraient prendre la forme de ventes directes, contractualisées ou non, mais aussi d'échanges de services et, surtout, d'intercommunications culturelles.

 

C'est le pari qu'ont fait ici les élèves architectes en bordant les résidences de serres dont l'usage restera à définir : galerie commerçante, espaces de jardinage, lieu de vente de produits locaux… Formellement, en tout cas, cette frange urbaine utilisant des matériaux propres au monde agricole constitue à la fois une limite stabilisée pour l'agglomération urbaine et un "entre-deux" faisant transition entre la ville et la campagne.

 

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