La métropole oubliée, 2013-2014, page 3

Roland Vidal et Luc Vilan

 

 

Boissy-sous-Saint-Yon : renaissance d'un village maraîcher

 

Équipe de projet : Guillaumre Dedieu, Laura Canevale et Damien Najeau

 

Localisation

 

 

Une étoile grise un peu pressée

 

Boissy-sous-Saint-Yon est l'un de ces villages sur lequel une étoile grise annonce la "potentialité d'une urbanisation à moyen-long terme" (1). Sur la photographie aérienne, on observe à l'emplacement de cette étoile une parcelle agricole encore cultivée (2). Mais ce qu'on observe sur le terrain, c'est une opération immobilière en cours d'achèvement (3).

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On s'aperçoit donc que la notion de "moyen-long terme" est très relative, de même que l'idée affichée d'un "renouvellement urbain" sur les "zones urbaine actuelles" largement disponibles dans la commune. Cette nouvelle tranche d'urbanisation poursuit une tendance engagée depuis les années 1980 qui a vu l'étalement de Boissy éloigner de plus en plus les quartiers d'habitation du centre historique du village. Elle révèle aussi la tendance, fréquente en milieu périurbain, des infrastructures routières de contournement conçues selon les logiques de la circulation automobile, à devenir les futures limites d'urbanisation du village contourné.

Cette nouvelle zone d'habitation, quelle qu'en soit la qualité architecturale, tend à banaliser l'entrée du village en masquant ce qui pourrait en faire son identité, celle d'un village maraîcher.

 

 

Boissy, village maraîcher

 

En observant la photographie aérienne de la parcelle avant sa construction (2), on remarque qu'elle est traversée par une diagonale qui semble marquer la trace d'un ancien cheminement. De fait, c'est probablement l'une des rares traces de la voie de chemin de fer qui desservait Boissy jusque vers 1950, et elle était encore récemment perceptible sur le terrain. Autre souvenir de ce passé ferroviaire, l'une des rues du village s'appelle "rue de la gare" (4). Cette ancienne ligne faisait partie d'un réseau secondaire, le CGB (Chemins de fer de Grande Banlieue) qui desservait certains villages ou certaines petites villes de la région parisienne (8). Le réseau était rythmé par de petites gares (5) dont la plupart ont aujourd'hui disparu comme à Boissy. Il était ouvert au trafic de voyageurs (6,7) et aux marchandises. Ces dernières étaient surtout des denrées agricoles, principalement maraîchères, qui étaient destinées aux Halles de Paris qu'elles rejoignaient grâce à une correspondance avec le tramway Paris-Arpajon (visible sur la carte), lui aussi disparu.

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La ligne qui traversait Boissy était celle d'Étampes à Paris via Arpajon. Sa principale fonction était d'acheminer vers les Halles le cresson produit dans la vallée de la Juine, culture qui s'est développée au milieu du XIXe siècle grâce à l'ouverture du marché parisien. Elle desservait aussi plusieurs villes ou villages maraîchers comme Boissy, ou Marcoussy, l'une des villes maraîchères du Triangle Vert, qui était raccordée par une petite ligne secondaire (également visible sur la carte).

Le train n'existe plus. Mais Boissy-sous-Saint-Yon a-t-il perdu pour autant sa vocation maraîchère ? Ce n'est pas ce que montre la carte réalisée par les étudiants (9) à partir de leurs observations de terrain. Si le maraîchage n'est plus dominant, il est encore bien présent notamment grâce à une exploitation agricole qui a retrouvé la vocation initiale des terres du village (10,11), la Ferme des Tourelles. L'autre activité agricole très active à Boissy, c'est l'élevage équeste, qui explique les nombreuses prairies. Avec la forêt qui borde le sud-ouest de la commune et les grandes cultures, maraîchage et prairies composent une diversité paysagère intéressante qui pourrait, si elle était mieux mise en valeur, contribuer à construire l'identité agricole du village.

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Un bourg qui a grossi trop vite

 

Ce n'est pas la réussite économique du maraîchage qui a entraîné l'accroissement démographique de la commune. Celui-ci a surtout eu lieu à partir des années 1980, et il est surtout dû à l'attractivité des zones pavillonnaires qui se sont développées autour du village.

Comme on le voit sur les cartes ci-dessous (12,13) l'étalement pavillonnaire s'est fait à distance du centre du village avec une assez faible densité de logements (14). Les zones les plus prisées sont situées à proximité de la nationale 20 (en bas à droite de la carte). Les autres, dont le Parc des Mésanges en cours de construction, se rapprochent du rond-point donnant accès à l'agglomération d'Arpajon. Dans tous les cas, et alors que des parcelles sont encore disponibles dans le village, les emplacements choisis ont éloigné les habitants des quelques commerces du centre historique, tandis que l’urbanisation par succession de lotissements pavillonnaires tournait le dos à ce qui fait la richesse paysagère du village.

Stratégie pour un bourg durable

 

En 40 ans, Boissy-sous-Saint-Yon a vu sa population multipliée par plus de trois. L’aire urbanisée du village s’est accrue en conséquence dans une succession de lotissements sans lien entre eux ni avec le village. Ce processus qui se répète d’un village à l’autre met en péril les qualités, tant sociales que spatiales, du territoire de manière récurrente.

• Il se réalise en extension, contre la campagne et contre les paysages en considérant l’espace agricole sous le seul aspect des opportunités foncières qu’il représente.

• Il banalise l’aspect architectural des villages en reproduisant éternellement les mêmes lotissements et les mêmes maisons.

• Il distend le lien des nouveaux habitants au village en privilégiant le caractère introverti des installations et l’accessibilité immédiate au réseau routier départemental (les maisons tournent le dos aux voies principales du village, les rues ne sont plus que des routes). Il produit une croissance quantitative du village sans participer à la fabrication d’un espace urbain adapté à sa nouvelle aire géographique comme à sa nouvelle démographie.

Le projet des étudiants prend le contre-pied de ce constat pour proposer une stratégie fondée sur :

- les qualités du patrimoine urbain et paysager ;

- les caractéristiques de son activité agricole contemporaine ;

- la fabrication d’un espace urbain redimensionnant le village à sa nouvelle échelle de bourg ;

- des typologies architecturales alternatives à la maison individuelle de lotissement.

Projets pour Boissy

 

La Ferme des Tourelles, grande exploitation agricole à la sortie ouest du village, ne produit pas seulement des denrées agricoles, elle produit aussi du paysage, au même titre que l'élevage équestre, la forêt ou les grandes cultures. Cet ensemble où les champs de blé alternent avec les massifs forestiers, les prairies ou les paysages plus intimes du maraîchage, porte la mémoire de Boissy-sous-Saint-Yon et participe à l’identité et au pittoresque villageois. Les plaquettes publicitaires en font un argument commercial, trop souvent mis en péril par la réalisation des lotissement qu’elles vantent. Pour sortir de cette contradiction due à la fuite en avant de l’urbanisation, une autre attitude est possible. La stabilisation de la frange urbaine est nécessaire pour éviter la consommation abusive des terres agricoles par l’urbanisation. Mais il faut encore mettre en valeur le paysage construit et entretenu par les agriculteurs, il faut en faire le bien commun des nouvelles populations autant que des villageois d’origine. Les manières peuvent être variées : donner à voir le paysage aux habitants par le biais d'un sentier-découverte, en faciliter l’appropriation et la culture commune par un balisage pédagogique, faire connaître (dépliants, site web etc.) l'histoire du village et son mode de fonctionnement agricole actuel (15).

 

Parallèlement, pour que le village de Boissy conserve son caractère, il faut renforcer sa centralité en confortant les commerces implantés aux abords de l’église et mettre sa structure urbaine en adéquation avec sa croissance contemporaine. L'idée développée ici vise à donner au village une "Grand’Rue" articulant autour d'un même axe le centre historique avec les nouveaux services implantés au sud. Le projet redessine, en faveur du piéton, les espaces publics de la voie, unifiant tracé ancien et nouvelles extensions et il se saisit, sur son parcours, de quelques opportunités foncières pour installer des projets d’habitat intermédiaire. Les nouveaux logements profitent en retour de la proximité piétonne du centre villageois et des nouvelles aménités urbaines pour participer au renouvellement de l’attractivité du centre (16).

Face à la concurrence des zones commerciales rendues difficilement soutenables par l’usage quasi automatique de la voiture dans les zones pavillonnaires plus éloignées, il s’agit de participer à une meilleure lisibilité des commerces du centre villageois tout en étendant leur zone de chalandise indépendante des déplacements automobiles.

Dans ces dispositions, la nouvelle architecture des centres bourgs doit néanmoins convaincre les futurs habitants de ses qualités d’usage et d’appropriation concurrentielles par rapport aux lotissements pavillonnaires, particulièrement sur les points suivants :

 

- Des logements garantissant l'intimité. Un point particulièrement travaillé dans les vues offertes depuis les habitations qui s’ouvrent soit sur un espace agricole, soit sur une cour intérieure partagée.

- Des logements dotés chacun d'un espace extérieur privatif. Même de petite dimension, cet espace doit être suffisant pour remplir la plupart des fonctions attendues du jardin pavillonnaire : repas en extérieur, barbecue, chaise longue… ou plantation de quelques fleurs. Cet espace peut  être combiné à un jardin d'hiver.

- Des ensembles de logements dotés d'espaces collectifs protégés, où les enfants peuvent jouer en sécurité.

 

Dans le premier exemple (17), l'architecture trouve ses références dans les dispositions et les volumes des fermes franciliennes, avec des bâtiments d'habitation entourant une cour intérieure. Les types de logements font appel à des duplex avec terrasses, superposés ou non à des appartements en rez-de-jardins privatifs. Les édifices se rassemblent autour de la cour, espace collectif central, en réunissent ainsi les avantages d’un espace extérieur privé avec la sociabilité d’une petite résidence. Inspiré des nombreuses fermes reconverties en logement, le projet propose un style d'habitat conforme à ce que l'on peut attendre d'un village : une densité bien moindre que dans le centre d'une grande ville, mais bien supérieure à ce que l'on trouve dans les zones pavillonnaires. Cette densité relative et l’installation sur la Grand’Rue contribuent à une urbanité que l'étalement pavillonnaire n'apporte pas (transports, commerces et services de proximité…) tout en restant en harmonie avec les qualités spatiales et sociales d'un village rural. Architecturalement, l'ensemble tire profit d’un mur préexistant, probablement celui d'un ancien enclos agricole, pour mieux tisser les liens avec l’architecture villageoise.

 

Le second exemple (18) est une proposition typologique de maisons en rangées adaptées à une longue parcelle relativement étroite. Elle a l’avantage d’accorder habitat individuel et densité. Le projet offre à chaque logement un rez-de-chaussée avec jardin privatif. En outre, il intègre dans la conception architecturale d’origine la possibilité —encadrée— de procéder à quelques appropriations et extensions pour adapter dans le temps l’habitat à l’évolution familiale. À l’échelle urbaine, l’opération contribue à la continuité visuelle de la Grand’Rue dans les secteurs d’extension récente du plan.

 

Le troisième exemple (19) n’est pas directement sur la Grand’Rue mais proche. Il complète l’enjeu rencontré à Boissy-sous-Saint-Yon d’articuler urbanisation récente, village et néo-ruralité. Il a pour enjeu d’éviter l’urbanisation aléatoire d’une grande prairie intérieure au village. Pour cela il s’appuie sur les premières urbanisations du secteur, les réordonne et protège la prairie  existante en l’offrant, par l’intermédiaire de larges verrières, à la vue des résidents, un peu comme leur jardin de devant. La façade de verre construit ainsi, côté campagne, une architecture de serres agricoles. Au milieu du bâtiment, un retrait des façades  encadre une cour-patio collective, agrémentée en son centre d'un bassin qui se prolonge dans la prairie, de l'autre côté de la clôture, par un abreuvoir. Ainsi préservée, la prairie  peut recevoir les chevaux du centre équestre du village et participer à l’adaptation au usages contemporains de l’espace du village.

 

Dans les trois propositions, la hiérarchie des espaces, leur statut et les seuils sont regardés avec soin afin de donner de la tranquillité et de la sécurité aux espaces ouverts (privatifs et collectifs). La voiture est intégrée mais à sa place, dans des dispositions qui n’entachent pas la convivialité des espaces partagés. Les typologies architecturales sont différentes montrant à la fois la pluralité des alternatives possibles à l’habitat en lotissement pavillonnaire mais aussi le profit que l’on peut tirer d’une attention précise aux enjeux de la croissance villageoise. L’architecture à son échelle répond de manière respectueuse aux différents usages des habitants tout en participant à la reconstruction d’une identité villageoise contemporaine.  

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