Les historiens le disent tous, le découpage départemental de la France, opéré en l'espace de dix semaines entre 1789 et 1790, est passé avec une étonnante facilité, et tout particulièrement en Bretagne, majoritairement républicaine à cette époque. Une nouvelle unité territoriale est née, qui sera pendant deux siècles l'intermédiaire presque unique entre la commune et la Nation. Or cette unité territoriale, dans de nombreux départements mais particulièrement dans les Côtes-d'Armor, ne correspond à aucune des entités qui lui préexistaient. Ni la langue, ni le niveau de vie, ni le type des activités économiques ne sont homogènes dans les Côtes-d'Armor. Pourtant, le département constitue bien la seule unité territoriale susceptible de porter une identité de lieu, intermédiaire entre commune et Nation, puisque, sans spécificités administratives, législatives, fiscales, etc., les pays ont peu à peu perdu de leur valeur identitaire, et qu'il en était de même des régions, jusqu'à leur récente résurrection.
Et puis le département, même s'il est maintenant remplacé par un numéro, a pendant très longtemps fait partie de l'adresse postale. Et c'est encore lui que l'on cite le plus souvent en réponse à la question «où habitez-vous?». C'est aussi lui qui cadre géographiquement les activités économiques : les chambres de commerce ou d'industries, aussi bien que les syndicats, sont départementaux. Cette question est moins d'actualité depuis que l'on met en cause l'utilité de l'échelle départementale, pour des raisons d'harmonisation européenne, mais elle l'était pendant les trente années qu'a duré la campagne pour le changement de nom des Côtes-du-Nord.
Alors, quoi de plus légitime, pour une population, que de revendiquer une identité à l'échelle la plus pertinente de son territoire d'aujourd'hui, même si cette échelle n'est pas celle d'un déjà lointain passé ? D'autant que le département, parce qu'il représente l'intégration à la République, met la recherche identitaire à l'abris des dérives passéistes dont sont empreints certains mouvements régionalistes français, en quête d'une «authenticité» masquant parfois quelques relents xénophobes.
Il reste qu'on accuse souvent d'être arbitraire le découpage départemental, et que l'on associe un peu rapidement cet arbitraire supposé à l'organisation centrale du pouvoir telle que l'a développée Napoléon. Pour illustrer ce point de vue, on entend souvent dire que les Côtes-d'Armor ne peuvent avoir aucune cohésion territoriale, puisqu'elles sont découpées «naturellement» en quatre par deux frontières, l'une dans le sens nord-sud et l'autre dans le sens est-ouest. Il importe donc de revenir sur la formation historique des territoires, en Bretagne en général et dans les Côtes-d'Armor en particulier, et tout d'abord d'observer comment se sont constituées ces fameuses frontières «naturelles» supposées couper le département en quatre. On observera ensuite de quelle manière le découpage départemental est venu s'ajouter à la superposition des découpages territoriaux qui l'ont précédé, et ce qu'il en est de sa prétendue arbitrarité.
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