PAYSAGE, ÉTHIQUE ET INFORMATIQUE
 

La déontologie d’une profession
 

face à l’expansion d’une technologie nouvelle

 

1997

 

INTRODUCTION


Vocabulaire : éthique et paysage


Parler d’éthique et de paysage, ce n’est évidemment pas parler d’une éthique du paysage, puisque ce dernier relève, au sens propre, de l’esthétique. Si je rapproche ces deux termes, c’est que le paysage désigne aussi un champ professionnel et que, en tant que tel, il doit nécessairement comprendre un aspect déontologique, donc reposant sur un fondement éthique.


La profession de paysagiste, d’ailleurs, recouvre un domaine beaucoup plus large que le paysage au sens strict et il aurait peut-être été plus juste, pour se rapprocher de la terminologie d’Augustin Berque, de parler d’écouméniste. Je continuerai, bien sûr, à parler de paysagiste et de paysagisme, puisque ces mots ont aujourd’hui un sens communément admis, mais en ne perdant pas de vue que la relation entre éthique et paysage s’établit, de mon point de vue, de la façon suivante (1) :

 

Vocabulaire : informatique


L’informatique, quant à elle, se rattache par nature au champ du scientifique. Le mot informatique, créé en 1962 par Philippe Dreyfus sur le modèle de mathématique, ne désigne pas, comme on l’entend parfois abusivement, la science de l’information, mais celle du traitement automatique de cette information (Petit Robert 1993).


Le mot étend le sens restreint de l’anglicisme computer (et du sporadique computeur) désignant spécifiquement une machine à calculer, et redéfinit un champ disciplinaire légèrement différent de celui sous-tendu par ordinateur (créé par IBM France en 1951). Pourtant, ce dernier mot persiste et désigne toujours le principal outil de la science informatique. Aussi, et bien que le terme inventé par IBM ne soit guère sorti de la langue française, les connotations qui s’y rattachent naturellement ne sont elles pas sans signification: l’ordre désigne aussi bien une disposition régulière qu’un acte d’autorité. Dans le même ordre d’idée, on n’oubliera pas non plus que le mot cybernétique, de plus en plus couramment employé, et notamment en anglais, vient du grec kuberno qui signifie «gouverner». Difficile, on le voit, d’éluder les relations entre l’informatique et le pouvoir… nous y reviendrons.

 

Quoiqu’il en soit, et aussi complexes et diversifiées que soient les applications de l’informatique, l’ordinateur est un outil qui calcule et qui doit, pour cela, se référer à une logique précise.

 

L’idée, très médiatique depuis quelques années, de logique floue ne doit pas être comprise à tort : elle recouvre un type de procédure qui permet de passer outre une certaine insuffisance d’information, ou une certaine part, provisoire, d’illogisme (un peu de la même manière que les nombres irréels dans une démarche mathématique) mais elle n’enlève rien à la rigueur logique de la procédure elle-même et donc ne change pas la nature fondamentale de l’ordinateur qui ne gère que des valeurs finies.


En d’autres termes, l’incommensurable, idée chère à Bernard Lassus, ne rencontrera pas sans difficulté la logique informatique.


Et la question qui sera le point de départ de mon approche, et qui reviendra de façon récurrente, sera celle de la quantification.

 

 

Peut-on quantifier le paysage ?


Les problèmes que soulève la rencontre entre l’informatique et le paysage peuvent se résumer, pour l’essentiel, à cette question-là. Et cette question en rejoint d’ailleurs une autre, plus ancienne, peut-on cartographier le paysage ?

 

La réponse risque d’être encore longtemps la même : oui et non.

 

Oui, parce que, comme l’ont montré Jean-Claude Wieber et ses collaborateurs de l’Université de Besançon, une analyse fine et méthodique du paysage permet de paramétrer les éléments les plus complexes de ce qui en fait la réalité physique (2).

 

Non, parce que justement le paysage n’est pas seulement fait de réalité physique, même si l’on peut traiter comme réalité physique les phénomènes de perception.

 

C’est cette intime complexité du paysage qui rend sa cartographie toujours incomplète et qui fait qu’elle dépassera, sans doute pour longtemps encore, la complexité croissante de l’informatique.

…/…

 

Notes

 

1 : La notion d’écoumène ainsi que ses relations avec le paysage et l’environnement, d’une part, et l’éthique d’autre part, sont directement inspirées du point de vue d’Augustin Berque. On trouvera une présentation récente de ce point de vue dans Être humains sur la terre, Gallimard, 1996, (notamment pages 77 et suivantes).

 

2 : Voir notamment :
Thierry BROSSARD et Jean-Claude WIEBER : «Le paysage : trois définitions, un mode d’analyse et de cartographie» in L’espace géographique, n° XIII-1. Paris : Douin, 1984, pages 5-12.
Daniel MATHIEU et Jean-Claude WIEBER : «L’analyse des structures des paysages naturels» in L’espace géographique, n° II-3. Paris : Douin, 1973, pages 171-184.

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